Dans
la mesure où le Famadihana suppose avant toute la communication avec les
ancêtres familiaux, nous le classerons sous la rubrique du culte familial, qui
n'est rien d'autre qu'un aspect particulier du razanisme.
Les traces de razanisme présentées dans les différentes étapes du rituel,
se manifestent avec un éclat particulier dans une expression souvent entendue
à la fin d'un Famadihana ; effectivement, après la cérémonie au tombeau, les
invités au rituel ont l'habitude de dire à la famille organisatrice la phrase
suivante : " Dia onerana ny lany e ! ", ce qu'on peut rendre en français par "
que vos dépenses soient restituées ".
Pour peu qu'on réfléchisse sur le sens profond de cette expression, on
s'aperçoit qu'elle renvoie à tout un système de croyances.
A savoir, on reconnaît d'un côté qu'on fait des dépenses pour
l'organisation du rituel, mais d'un autre côté on croit que toutes ces
dépenses constituent une espèce d'investissement. Dans cet ordre d'idées,
l'investissement à un Famadihana serait, en quelque sorte, un investissement
sacré ; en effet l'organisation du rituel qui "investit ", escompte la
bénédiction des Razana et leur protection dans ses entreprises à venir.
Pour ouvrir une parenthèse, disons que sur le plan formel, et dans la
mesure où toutes les religions se valent, cet "investissement sacré " de
l'organisateur de Famadihana est à mettre en rapport avec l'acte du chrétien
dans sa participation matérielle à une œuvre christianisante, notamment la
construction d'un temple ou d'une église, la quête etc.… Certes
l'investissement de l'organisateur de Famadihana et celui du chrétien ne sont
pas exactement de même nature, car pour le premier il s'agit d'un
investissement à court terme dans la mesure où on escompte la récompense
immédiatement sur terre ; tandis que pour le second la récompense arrivera
seulement après la mort. Néanmoins sur le plan formel et au niveau de la
rationalité économique les sommes dépensées dans les deux cas peuvent être
mises en relation.
Maintenant interrogeons - nous sur la profondeur historique du rituel.
Le Famadihana qui est, comme nous venons de le montrer, un genre
particulier du culte des ancêtres, aurait dû être un rituel de pratique
courante dans la période monarchique où le razanisme dominait l'univers
spirituel des Malgaches.
Malheureusement, peut de documents parlent de la profondeur historique du
Famadihana, problème qui pose beaucoup de questions sans réponses.
A notre connaissance, trois auteurs seulement ont avancé des dates
relatives à l'origine du Famadihana à Madagascar.
Le premier, le révérend John Haile, au moment où il écrivait, c'est - à -
dire en 1892, affirmait que l'origine du Famadihana remonterait à 100ans, à
savoir vers 1792, sous le règne du Roi Andrianampoinimerina.
Nous ne rejetons pas à priori cette date avancée concernant l'origine du
Famadihana, mais nous pensons qu'elle est très discutable dans la mesure où
l'auteur ne contentait de l'affirmer sans fournir ni explication, ni une
source quelconque.
Deux autres auteurs situent l'origine du Famadihana au règne de Ranavalona
Ière (1828-1861).
Précisément, dans le livre de Jean Carol intitulé "chez les Hova (Au pays
rouge) " où l'auteur a traduit les manuscrits d'un lettré malgache, on lit
dans le chapitre IV traitant des coutumes et traditions que la coutume
Famadihana daterait de Ranavalona Ière.
D'autre part, dans l'ouvrage d'Hugues Berthier parlant des "notes et
impressions sur les mœurs et coutumes du peuple malgache ", on lit à la page
162 la phrase suivante : " D'après certains indigènes, la coutume du
Famadihana daterait seulement du règne de Ranavalona Ière (1828 - 1861).
Selon les trois auteurs précédents, le rituel serait donc d'une origine ou
d'une pratique relativement récente.
Sur ce sujet, reproduisons encore une dernière information relevant de ce
que les Malgaches appellent "lovan-tsofina ", littéralement "héritage des
oreilles ", qui veut dire en faite tradition orale.
Une tradition orale que nous avons pu entendre lors de notre enquête
rapporte que sous le règne de Radama Ier (1818 - 1828), on pratiquait le
Famadihana.
En effet, l'histoire rapporte qu'avant de "tourner le dos " le Roi
Andrianampoinimerina légua à son fils Radama Ier sa dernière pensée politique
: " Ny riaka no valamparihiko " ("la mer est la limite de ma rizière ", c'est
- à - dire mon royaume). Histoire de Madagascar de M. H. Deschamps p.126 op.
cit.
Fidèle à la tradition des ancêtres, le jeune Roi Radama Ier accomplit donc
cette recommandation de son père. Chacun sait qu'il fût le plus grand
conquérant des souverains Merina, car il est allé faire des expéditions
jusqu'à la côte.
Et la tradition raconte qu'il était de règle de ramener en Imerina les
corps des soldats morts pendant ces expéditions dans les régions côtières.
Autrement dit, on assistait alors à des Famadihana, qui se faisaient certes
dans des circonstances particulières.
A la lumière de ces documents écrits et oraux, on peut donc supposer
pendant le 19ème siècle le rituel de Famadihana était déjà pratiqué en
Imerina. Mais nous irons encore plus loin en avançant que rien ne prouve la
non - pratique de ce rituel dans la période antérieure.
Si le razanisme était le culte principal en Imerina depuis l'aube de la
royauté (vers le XVIè s.), et si le Famadihana est reconnu comme étant un
aspect particulier de cette religion, en tant que culte des ancêtres
familiaux, le commencement relativement récent de la pratique de ce rituel,
relaté par les documents cités tout à l'heure ne paraît pas
indiscutable.