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Les origines  

Les premiers habitants de la Grande Île

La question des premiers habitants de la Grande Ile n’est pas purement académique. Hier avec les “guerres tribales”, aujourd’hui avec les “conflits interethniques”, l’Occident qui se dit porteur de droit, de justice et de paix, s’est forgé ses justifications : pour la conquête et la domination dans le passé colonial, pour l’ingérence et l’intervention dans le présent néo ou post-colonial. Or, s’agissant du monde malgache, on serait tenté de dire que c’est le pompier qui a mis le feu. En effet, contre l’évidence de l’unité linguistique et culturelle de l’île, qui apparaît si fondamentalement austronésienne qu’Alfred Grandidier en vint à y donner aux Noirs une origine mélanésienne (sic), on agite, jusque dans l’actualité la plus brûlante, l’épouvantail d’une “irrémédiable” opposition originelle et raciale entre les Merina déclarés asiatiques et hégémoniques et les “côtiers” déclarés africains et victimes. Et cela mérite bien sûr qu’un effort soit fait non seulement pour comprendre mais aussi pour commencer à rétablir la vérité historique.

En arrivant à Madagascar, île géographiquement africaine où ils ne s’attendaient à trouver qu’un peuple noir, les visiteurs occidentaux du 19e siècle ne pouvaient qu’être surpris et par la variété des types humains et par l’éventail des couleurs de peau, allant du plus sombre au plus clair. Mais ceux d’entre eux qui recherchèrent une explication par l’histoire, ne trouvèrent dans la tradition locale que des récits de faible profondeur historique, s’enfermant de surcroît dans les limites de l’île et l’espace social de chaque groupe concerné. Aussi se laissèrent-ils conduire par la science et les préjugés de leur état ou de leur temps, ou des deux à la fois.
Missionnaire luthérien norvégien, Lars Dahle, connu pour ses travaux d’ethnologie et de linguistique, fut le premier à poser les fondements de la théorie qui allait faire fortune. Face aux types humains présents à Madagascar, il posa, en 1883, la question de savoir lequel, du type africain ou du type malayo-polynésien, était arrivé en premier. Outre qu’il était de ceux pour lesquels le peuplement d’une île s’expliquait par le continent voisin et à chaque continent correspondait une couleur de peau, sa formation théologique et ses activités missionnaires l’amenèrent à aller chercher dans la Bible son argument décisif en faveur de la primauté des Africains. Et d’expliquer que si les Asiatiques étaient arrivés les premiers, jamais les Noirs n’auraient pu venir s’établir à Madagascar, puisque les Asiatiques, plus intelligents et plus belliqueux, les en auraient empêchés.
Au contraire, si les Noirs avaient été les premiers, les Asiatiques les auraient facilement vaincus et dominés, puisque selon la malédiction de Noé, les descendants de Cham – reçu pour l’ancêtre des Noirs – ne pouvaient être que les “serviteurs des serviteurs” des descendants de ses frères, Japhet et Sem – respectivement reçus pour l’ancêtre des Européens et celui des Sémites.
Raciste sous l’autorité de la Bible, Lars Dahle, se voulant néanmoins homme de science, n’entendait formuler qu’une hypothèse, dont il attendait confirmation ou infirmation de recherches à mener ultérieurement à Madagascar et en Afrique. Mais la conquête coloniale française et l’installation d’un nouveau pouvoir allaient conduire à effacer son nom, et à ne retenir de sa réflexion que la conclusion selon laquelle les Noirs africains furent les premiers habitants de la Grande Ile et les Malayo-polynésiens des conquérants venus ultérieurement.
Transformée en “vérité scientifique”, une fois dégagée de l’argumentaire, cette conclusion put être alors récupérée pour l’action et devenir instrument de conquête et de domination en toute bonne conscience.

Religion, science et racisme

En effet, Gallieni et son petit cercle d’officiers ethnologues ayant institué la “politique des races” et repris le “diviser pour régner”, tout se passa comme si, dans l’esprit de la Révolution et à l’image des soldats de l’An II, les soldats de la République Française – et bien évidemment leurs successeurs, militaires ou civils – étaient venus combattre une tyrannie d’“ancien régime” pour libérer et protéger des Africains noirs opprimés par une aristocratie malaise.
Quant à Gabriel Ferrand, publiant en 1903 la thèse qui allait l’opposer, jusqu’à la rupture, à Alfred Grandidier et sa “thèse asiatique”, tout donne à penser qu’il le fit au minimum pour fixer les idées, et pour consolider cette bonne conscience qui l’avait lui-même animé au début des années 1890, quand, protégé par son statut de diplomate accrédité auprès du Royaume de Madagascar, il mijotait dans sa résidence de Mananjary de former des troupes “côtières” auxiliaires en prévision de la conquête.
Mais il y a, semble-t-il, bien plus. Car la conclusion à laquelle aboutit Ferrand – et qui allait s’imposer jusque de nos jours, malgré les discussions dont elle fit l’objet parmi les chercheurs au long des décennies – était exactement que seuls étaient asiatiques les types clairs, cependant qu’étaient africains les types noirs, parmi lesquels il distinguait, d’une part, les “Négrilles”, arrivés les premiers et correspondant aux célèbres Vazimba des traditions locales, et d’autre part, les “Bantous” dont il fait les ancêtres des Malgaches à la peau noire d’aujourd’hui. Autrement dit, les Vazimba ayant été, dit-on, massacrés – et les survivants chassés vers des lieux inhospitaliers où ils n’ont pu que s’éteindre –, c’est sans exception, que, types clairs et types noirs confondus, les Malgaches sont donnés pour des êtres ayant un passé entaché par la sauvagerie et les “guerres tribales” à fondement racial.
Cela étant, le plus grave, à notre sens, réside dans le fait que cette (re)présentation occidentale du monde malgache que l’on crut (que certains continuent de croire) scientifiquement fondée – et que l’on a de ce fait érigée en doctrine des bureaux et des agences administratives qui prétendent décider sans fin, en dogme de différents enseignements qui continuent de s’imposer aux élèves et étudiants, en clef d’interprétation pour la quasi totalité des médias qui entendent “informer”, et en gage de sérieux dans les guides touristiques les plus répandus –, s’est non seulement élaborée en s’enracinant dans le racisme le plus ordinaire de la culture judéo-chrétienne d’Occident, mais en est progressivement venue à polluer jusqu’aux représentations de soi-même de nombre de Malgaches qui ont été soumis à l’acculturation. Et certains, bien évidemment, l’ont intériorisée avec des conséquences catastrophiques, qu’il n’y a plus seulement lieu de craindre puisqu’on peut désormais les constater.

Dans le monde austronésien occidental

Pour poser correctement la question embrouillée des premiers habitants de la Grande Ile, sans doute convient-il, avant de se replacer dans le cadre dessiné par les activités économiques austronésiennes, de relever les plus grossières des erreurs que présentent les reconstructions théoriques dont on vient d’avoir un aperçu.
Inutile naturellement de s’attarder sur l’impertinence scientifique de l’argument biblique de Lars Dahle. En revanche, comment ne pas souligner qu’il fait erreur quand il affirme qu’une poignée de Malayo-polynésiens auraient pu imposer leur langue au reste des Malgaches : l’on sait que, dans une situation de contact telle que celle qu’il imagine, c’est la langue de la majorité vaincue qui l’emporte sur celle de la minorité victorieuse.
Quant à Ferrand, on rencontre chez lui au moins deux erreurs. Tout d’abord quand, s’en rapportant à la réduction des Vazimba à des nains dans les traditions locales, il a cru pouvoir en inférer une immigration de “Négrilles” d’Afrique, parce qu’il n’avait pas saisi que, strictement symbolique, cette “nanification” les donne tout simplement pour des personnes ayant perdu leur ancien rang dans la société.
Ensuite, s’agissant des Bantous, les progrès de la recherche permettent aujourd’hui de dire que leur expansion vers l’est, à partir d’une région du centre nord-ouest de l’Afrique, ne les a conduits jusqu’à la mer qu’à la fin du 1er millénaire de notre ère. Ainsi ne peuvent-ils pas avoir précédé les Austronésiens à Madagascar. Cela ne signifie évidemment pas que les premiers habitants de l’île n’ont pas pu compter des Africains noirs parmi eux, mais simplement que ceux-ci, outre qu’ils ne pouvaient être des Bantous, n’auraient pu y arriver, à l’époque, qu’en voyageant sur des embarcations austronésiennes.
Quoi qu’il en ait été, “Noir” ne signifie pas uniquement africain ou mélanésien, et l’erreur d’Alfred Grandidier sur ce point tenait au fait qu’il ignorait apparemment tout de l’Empire du Champa qui, bien que situé sur le continent, fut, rappelons-le, le centre d’une des grandes thalassocraties du monde austronésien.
Or, comme en attestent les écrits chinois du 2e siècle, l’aristocratie de l’Empire du Champa était composée de Noirs, bien que le peuple y fût de teint clair. Et de même, peut-on relever que les bas-reliefs des temples d’Angkor au Cambodge, aux 12e et 13e siècles, présentent avec des traits négroïdes les mercenaires chams (habitants du Champa à ne pas confondre avec le fils de Noé!) conducteurs d’éléphants de l’armée khmère.
Mais ce qui, en l’occurrence, peut laisser perplexe – pris entre sourire et fureur – c’est que c’est dans les travaux de Gabriel Ferrand sur les Kunlun, travaux d’un orientaliste de renom, que l’on trouve une bonne part des données concernant non seulement le Champa et la navigation austronésienne de l’Antiquité, mais aussi l’une des premières mentions, d’après les sources chinoises, de l’existence, dans le Sud-Ouest de l’océan Indien d’un Kun-lun Zengqi, “pays des hommes noirs venus d’Asie et établis en Afrique de l’Est”.
Ainsi apparaît-il clairement que c’est à dessein que ne furent pas rectifiées les erreurs diffusées sur les premiers habitants de la Grande Ile, car jamais ni Ferrand ni d’autres malgachisants avant nous n’ont véritablement mené ce travail salutaire.
Nous reste donc maintenant l’obligation, éthique et scientifique, d’esquisser une reconstruction plus proche de la vérité.
De fait, à s’en rapporter à l’ensemble des sources disponibles, Madagascar paraît bien avoir été inscrite dans un véritable réseau de commerce maritime s’appuyant sur les productions des pays riverains de l’océan Indien et des mers adjacentes.
Les premières explorations de la Grande Ile, puis les premiers établissements permanents se seraient ainsi situés dans une région où les Austronésiens étaient présents depuis le pays de Pount, au nord où il est notoire qu’ils avaient le monopole des aromates, jusqu’au sud-est de l’Afrique en passant par l’ancienne Azanie.
Dans ce monde des deux rives à cheval sur le canal de Mozambique, les premiers témoignages archéologiques trouvés sur le sol malgache n’apparaissent qu’au 5e siècle de notre ère. En revanche, c’est en étudiant des sites d’avant la fin du 1er millénaire avant notre ère que les archéologues admettent que le complexe néolithique sud-est asiatique – avec la diffusion de la poule, du cocotier, du bananier et du taro – avait modifié les conditions alimentaires et démographiques de l’Afrique de l’Est. Et c’est dès avant le 2e siècle de notre ère que tout en notant, dans le Périple de la Mer Erythrée, la présence de ces plantes asiatiques sur la côte africaine, Ptolémée présente les hommes de la région comme étant de grands hommes noirs “aux cheveux frisés” que rien n’interdit plus aujourd’hui de reconnaître pour des Austronésiens depuis qu’on a pu les mettre en relation avec ceux du Champa.

En quête de “feuilles d’herbes”

Qu’ils aient été du type malayo-polynésien ou du type cham, ou plus probablement des deux, et qu’ils aient été ou non accompagnés de Noirs d’origine africaine, les premiers Austronésiens qui touchèrent Madagascar, arrivèrent dans une île déserte.
Tout donne à penser que c’est son très grand intérêt économique qui fait qu’ils s’intéressèrent à cette nouvelle terre, après y avoir reconnu une nature riche des ressources qu’ils avaient l’habitude d’exploiter. Et l’on ne peut que relever qu’avec des termes tels que mandranto, mila ravin’ahitra ou mamanga, le vocabulaire malgache de l’économie traditionnelle continue à utiliser des mots qui ont pris sens dans ces anciennes activités austronésiennes.
En effet, dérivé du vieux mot austronésien ranto désignant l’estran et la plage, le terme mandranto, qui exprime aujourd’hui le fait de se livrer au commerce itinérant en poussant jusqu’à la côte, désignait dans le monde austronésien le fait de se rendre temporairement sur des rives lointaines pour y chercher fortune, et plus particulièrement pour y exploiter les ressources de l’estran, à commencer par l’ambre et le trépang (aussi appelé holothurie ou concombre de mer). Et c’était alors sur des rives préalablement reconnues que l’on revenait chaque année s’établir le temps d’une campagne de collecte et de fumaison des trépangs, qui étaient destinés à l’exportation vers le marché chinois.
Relevant du même domaine du commerce d’exportation, l’expression mila ravin’ahitra désigne le fait de parcourir les terres, ou de partir à l’intérieur des terres, en quête de “feuilles d’herbes” pouvant devenir des richesses grâce au commerce des simples, des épices et des aromates.
Quant à mamanga qui dérive de la racine vanga signifiant “action de vendre”, c’est un mot qui désigne jusqu’à aujourd’hui l’action de migrer temporairement vers des régions lointaines, avec l’espoir de parvenir, avant le retour, à accumuler un certain capital.
Aux mpandranto et mpila ravin’ahitra austronésiens, végétation et faune de Madagascar offraient un intérêt exceptionnel. Sur les lieux d’arrivée, dans la région de Maroantsetra et sur la côte nord-ouest, les rivages offraient en abondance un ambre et des trépangs – dingadingana en malgache – qui n’avaient jamais été exploités. Quant aux feuilles, racines et écorces sources de richesses, on en trouvait, également en abondance, dans les forêts de la zone au vent de la côte est et dans celles du Sambirano dans le nord-ouest.
Il était facile de faire l’inventaire des ressources de l’estran du fait même de la topographie des rivages marins. Quant aux potentialités de la flore de l’île, elle ne pouvait faire, au départ, qu’un objet de reconnaissance et d’échantillonnage. Ce n’est sans doute que par la suite, quand furent décidées les installations permanentes, que les premiers colons se livrèrent en outre à la production agricole, fruitière et sylvicole selon les modèles ancestraux d’Asie du Sud-Est et qu’ils importèrent d’Afrique des animaux et des plantes qui augmentèrent leurs ressources alimentaires.


Jean-Pierre Domenichini et Bakoly D-Ramiaramanana


Pourquoi Austronésien ?
Il est un mot auquel le lecteur est déjà habitué, mais qui mérite d’être expliqué autrement que par l’application qui en est faite. Pourquoi parler de langues austronésiennes, alors qu’on les dit habituellement malayo-polynésiennes ? Pourquoi dire que les ancêtres des Malgaches sont Austronésiens, alors que l’on parle d’habitude d’ancêtres malais ou indonésiens ?
Pour caractériser la famille de langues à laquelle appartient le malgache, on a longtemps utilisé le terme “malayo-polynésien”, mais il a le défaut de ne pas comprendre les langues de la Mélanésie, de la Micronésie, de Taiwan (Formose) et des montagnards d’Indochine.
Pratiquement, le terme malayo-polynésien excluait surtout les populations noires du Pacifique. Austronésien est déjà plus englobant. “Malayo-polynésien” reste cependant employé avec un sens plus précis. On dira, par exemple, que la langue malgache appartient au rameau hespéronésien (occidental) de la branche malayo-polynésienne de la famille austronésienne.
D’emploi courant et ancien, le mot “malais” manque de précision. Il désigne les habitants de la Malaisie ou, à l’époque de l’arrivée des Européens, les hommes qui faisaient le commerce maritime entre les îles de l’Insulinde. Quant au terme “indonésien”, il ne convient pas pour les périodes anciennes, puisqu’il a été formé au 19e siècle par les Hollandais pour regrouper dans un même ensemble les colonies qu’ils possédaient dans la région. Le mot fut repris par les indépendantistes au lendemain de la Seconde guerre mondiale.
Même si certains ancêtres des Malgaches sont partis de terres désormais indonésiennes, ils n’étaient pas Indonésiens. Ce serait un anachronisme comme de dire que le Gaulois Vercingétorix était Français.
Le vocabulaire fait partie de la trousse d’outils du chercheur. Comme un bon couteau, il doit être bien aiguisé et sa forme adaptée à l’usage prévu. C’est pourquoi il est préférable de parler d’Austronésien et d’Austronésie, comme le font d’ailleurs depuis un siècle les chercheurs allemands et anglophones.
Il est vrai que le terme austronésien est européo-centré. L’on pourrait tout aussi bien – c’est l’option nationaliste – dire nousantarien en partant du terme “nusantara” par lequel les chercheurs indonésiens désignent l’aire.




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